Adapter nos logements au vieillissement

Tribune au « Monde », lemonde.fr, vendredi 12 août 2022 

 Il faut lancer une vaste politique d’adaptation des logements au vieillissement »
Luc Broussy, auteur du rapport interministériel « “Nous vieillirons ensemble” : 80 propositions pour un nouveau pacte entre générations », estime, dans une tribune au « Monde », que les moyens manquent pour accompagner le désir des Français de vieillir chez eux.

La crise de défiance – largement injuste et imméritée … qui frappe les Ehpad a convaincu les responsables politiques d’ériger le maintien à domicile comme solution prioritaire. Mais si les Français veulent vieillir chez eux, encore faut-il leur en donner les moyens. Et c’est là que le bât blesse. Car les incantations ne font pas une politique publique.

Sur ce sujet, planent comme une ombre deux statistiques qui prennent la forme d’un déni collectif :chaque année, près de 10 000 personnes de plus de 65 ans meurent de chutes à domicile. Dans le même temps, les Petits Frères des pauvres ont évalué à près de 530 000 le nombre de personnes âgées qui, à force d’isolement, sont « en situation de mort sociale ». Sur ce sujet, le député Jérôme Guedj (PS) a émis, dans un rapport remis au gouvernement en 2020, des propositions qu’il ne serait pas inutile de mettre en œuvre.

Car il ne suffit plus de sauter comme un cabri en criant « domicile, domicile ! », il s’agit désormais de penser une stratégie globale qui commence par une politique volontariste d’adaptation des logements.

Adaptation des logements
Alors que 74 % des seniors sont propriétaires de leur logement, l’initiative leur appartient de l’adapter à leurs fragilités naissantes. Comme il appartient aux bailleurs sociaux de relever le défi de l’adaptation d’un parc HLM au sein duquel 24 % des locataires ont déjà plus de 65 ans, mais où à peine 37 % des logements sont accessibles par ascenseur. Or, le système d’aide à l’adaptation des logements au vieillissement est en France d’une folle complexité et d’une honteuse pusillanimité. Complexe, car il se caractérise par des financeurs multiples (ANAH, CNAV, départements…), qui appliquent tous des conditions d’éligibilité différentes. Insuffisant puisque la France mobilise chaque année 152 millions d’euros à l’adaptation des logements au vieillissement quand la Grande-Bretagne y consacre près de 580 millions d’euros par an.

Ces constats m’ont conduit à proposer, dans un rapport interministériel remis au gouvernement en mai 2021, la création d’un dispositif que j’ai baptisé MaPrimeAdapt’ et que j’ai souhaité incitatif, unique et universel.
Incitatif, car, lorsqu’on sait que les bénéficiaires d’une telle adaptation ont en moyenne 84 ans, on mesure la nécessité de mieux anticiper. Unique, car il est essentiel que les retraités bénéficient d’un système visible et lisible sous la forme d’un guichet géré par l’ANAH, aisément accessible sur Internet ou dans un lieu de proximité. Universel enfin, car si la prise en charge des travaux doit évidemment être soumise à condition de ressources, tout retraité doit pouvoir bénéficier d’un soutien logistique (visite d’évaluation par un ergothérapeute, orientation vers un artisan compétent…) à partir de 70 ans, et ce, quelles que soient ses ressources ou son niveau de dépendance.

Nouveau défi urbain
Une priorité d’autant plus urgente que le nombre de Français âgés de 75 à 84 ans, ceux qui justement vivent chez eux et n’ont pas besoin d’Ehpad, va augmenter de 47 % de 2020 à 2030, soit une hausse d’une ampleur jamais connue dans notre pays. C’est donc maintenant qu’il faut agir en lançant une vaste politique d’adaptation des logements (changement de la baignoire en douche, domotique, Internet des objets [IOT], capteurs de chutes…). Mais cela ne suffira pas : deux autres conditions sont nécessaires.
La première, c’est que les villes aussi soient adaptées. Car un logement adapté dans un environnement urbain hostile conduira à une forme d’assignation à résidence : à la fin, de crainte de devoir se déplacer, c’est la voisine qui ira chercher la baguette de pain. Qu’il s’agisse de la voirie ou des bancs publics, des moyens de mobilité ou des passages pour piétons, les maires et présidents d’agglomération sont désormais au premier rang de ce nouveau défi urbain.Comme le professeur Carlos Moreno a pensé la « ville du quart d’heure », il nous faut désormais inventer la ville de la longévité. Les programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain de l’Agence nationale de la cohésion des territoires doivent y contribuer.
La seconde condition, c’est la nécessité d’une aide humaine, qu’elle soit professionnelle (ce qui passe par un soutien des services d’aide à domicile, qui sont depuis des années en grande souffrance), familiale ou de voisinage. Car, à quoi sert un logement adapté, si c’est pour finir sa vie seul et isolé.

Enfin, en injectant dans l’économie entre 2 et 3 milliards d’euros sur cinq ans, la politique d’adaptation des logements au vieillissement peut devenir un pilier de cette nouvelle « silver économie ». Tous les acteurs (élus locaux, artisans, bailleurs sociaux, services publics – je pense notamment à la Caisse centrale d’activités sociales ou à La Poste –, acteurs de l’économie sociale et solidaire, ergothérapeutes ou start-up innovantes) ont le pied sur les starting-blocks pour participer à ce « nouveau modèle français » de croissance.

Au final, MaPrimeAdapt’ constituerait un signal fort de la capacité de l’Etat à allier solidarité, créations d’emplois, essor économique et adaptation de la société à la longévité. La première ministre a un dossier complet de 88 pages sur son bureau. Elle a récemment formulé son souhait de trouver des points de consensus au Parlement. Or, consensuelle, MaPrimeAdapt’ l’est à coup sûr.

Luc Broussy est l’auteur du rapport interministériel « “Nous vieillirons ensemble” : 80 propositions pour un nouveau pacte entre générations », remis en mai 2021. Les chiffres cités proviennent dudit rapport. C’est un spécialiste des questions liées au vieillissement et à la silver économie.

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